Les aléas de l’intégration en classe régulière (1ère partie)

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Suspension externe.

Deux petits mots tout simples mais si lourds de conséquences pour mon fils.

Au milieu de la page de son agenda, les lettres écarlates me narguent en majuscules, surlignées de surcroît. C’est la troisième fois en cinq semaines.

Je ne sais plus quoi faire. Je me prends la tête entre les mains, le découragement me gagne. Je sais très bien ce que ça signifie et les conséquences que ça aura pour mon fils. À moins de faire amende honorable et d’adopter un comportement exemplaire dès son retour, il peut oublier l’intégration en classe régulière pour cette année.

Je suis assaillie par un maelstrom d’émotions. Je regarde mon fils qui blague avec sa sœur, sans avoir l’air de comprendre ce qui arrive. Je ne sais pas si je dois être en colère, triste, déçue ou même soulagée. Les choses ne se passent pas du tout comme prévues. Mais de toute façon, n’est-ce pas vain d’espérer une vie tranquille quand ton enfant a des besoins particuliers?

L’année passée s’était terminée sur une bonne note pourtant. Tellement, que nous avions tous décidé de se lancer dans l’aventure du régulier. Mon grand avait travaillé si fort. Comment lui refuser cette opportunité? Nous avions déménagé, pour lui. Les bouleversements, les sacrifices, c’est justement parce que nous pensions qu’il avait le potentiel académique pour suivre une formation régulière plutôt que d’aller en école spécialisée. Qu’il avait droit de socialiser, de se faire des amis de tous horizons tout en évoluant dans un cadre adapté à ses besoins. Maintenant, je regarde ce gâchis et je m’interroge. Et si, au fond, nous avions pris cette décision dans notre intérêt et non le sien? Et si c’était pour mieux nous conforter dans l’illusion de la normalité que nous l’avions poussé dans cette direction? Était-ce vraiment la meilleure option pour lui?

À Montréal, son entrée en maternelle avait été tellement désastreuse que nous appréhendions le début de sa 1ère année. Pourtant, dès son arrivée à sa nouvelle école, il est tombé sous le charme de sa nouvelle enseignante, dévouée et formée à la clientèle à besoins particuliers. Épaulée par une équipe d’intervention et une direction impliquée, elle a fait cheminer notre fils jusqu’à des sommets que nous pensions jusque-là inatteignables. Dans sa classe TSA, il a appris à socialiser adéquatement, il a acquis une plus grande autonomie, mais surtout un meilleur contrôle de son corps et de son impulsivité. Son niveau d’anxiété a drastiquement diminué, il vivait de belles réussites, il était heureux et aller à l’école était un réel plaisir. Pour la première fois, il s’est fait des amis et a été invité à des anniversaires. En fin de journée, il descendait de la berline les yeux pleins d’étoiles et il papotait joyeusement. C’était si beau que certains soirs, j’en pleurais de joie !

Tout comme nous, son enseignante dénotait chez lui un potentiel qui méritait d’être exploré. C’est comme ça que, de fil en aiguille, l’intégration au régulier s’est amorcée en avril dernier. D’abord les dîners et les récréations, puis les cours d’éducation physique. Lentement, à son rythme, une étape à la fois. Jumelé à des élèves de 1ère année régulière déjà sensibilisés à sa différence, il a été testé dans diverses situations potentiellement anxiogènes et il répondait bien aux interventions. L’école lui a même fait passer à son insu les tests de fin d’année et il a obtenu des résultats au-dessus de la moyenne dans toutes les matières. Et là je ne parle pas de notes « adaptées » mais bien des barèmes ministériels.

En juin, le plan d’intervention avait été révisé pour que l’intégration intensive avec accompagnement commence dès la rentrée en septembre. Il y avait bien quelques inquiétudes sur le respect des règles de vie et sur sa gestion du stress, mais sinon l’avenir semblait prometteur. L’intégration complète était prévue pour janvier 2017. C’est fou comme ça semblait facile et beau sur papier… En effet. Sur papier.

Flattés par les éloges, nous avons baissé la garde. Nous avons rangé notre armure et notre combativité a pris des vacances. Nous avons profité à fond de notre été pour décrocher. La semaine avant la rentrée, mon fils a commencé à ressentir un peu de nervosité, mais je l’ai rassuré en lui répétant que tout se passerait bien. J’ai menti. Tout est allé tout croche.

Premier jour de classe, on a appris que non seulement l’intégration était mise sur pause mais qu’en plus, la ressource prévue pour l’accompagnement avait mystérieusement disparue pendant les vacances. Du corps enseignant et de l’équipe de professionnels qui gravitaient autour de mon fils, il ne restait plus qu’une seule figure connue. Même la composition de sa classe TSA avait changé. La nouvelle enseignante bien que très gentille et pleine de bonne volonté, était relativement peu expérimentée avec cette clientèle. Fiston ne comprenait rien à ce revirement de situation, il se sentait perdu dans ce labyrinthe bureaucratique… et nous aussi.

Bien sûr, il a très mal réagi. Son petit train bien huilé venait de dérailler. Malgré les explications de son enseignante, il ne comprenait pas ce qu’il avait fait de mal, pourquoi il était pénalisé. Après plusieurs discussions à la maison, il s’était fait une raison. Puis, un mois après la rentrée, alors qu’on essayait encore de trouver nos repères, l’école a (encore) changé d’idée! Un soir, notre fils est revenu à la maison avec un nouvel agenda, des cahiers jusqu’ici inconnus et une lettre qui nous informait que dorénavant, il y aurait des devoirs et des leçons. Alors qu’il n’en avait jamais eu dans son parcours scolaire, il fallait se mettre en mode rattrapage pour qu’il soit capable de suivre le cursus de 2e année régulière… Parce que contre toutes attentes, l’intégration à temps plein venait de commencer! Tous les avant-midis, les récréations et les cours spéciaux au régulier et le reste de la journée dans sa classe TSA.

Du jour au lendemain, nous devions faire une à deux heures de travail chaque soir. Essayer, je devrais dire. Constamment sous pression pour ne pas commettre d’écarts, fiston essayait de se contrôler tout le temps qu’il passait au régulier, mais une fois de retour en classe TSA ou à la maison, il explosait. Le plus souvent pour des niaiseries. Des pertes de contrôle intenses qu’on ne lui avait pas vu depuis deux ans. Il arrivait à la maison, épuisé, la concentration à zéro et le moral dans les talons. On avait beau lui répéter la matière jusqu’à l’écœurement, il n’était pas réceptif. Normal, il était en constante surcharge sensorielle. Alors vous imaginez bien que les premières semaines, ses contrôles ont été désastreux. Les vendredis étaient devenus une torture. Fiston faisait des cauchemars toute la nuit, il se réveillait avec la nervosité à son maximum. Une fois à l’école, l’anxiété de performance atteignait son paroxysme et il oubliait tout ce qu’on avait vu avec lui. Et les échecs, ça ne faisait pas partie de sa réalité, lui qui est habitué à comprendre rapidement. Et le plus difficile dans tout ça, c’était de le voir si tiraillé entre son groupe TSA et sa classe régulière. Trop peu présent pour garder le contact avec ses anciens amis et trop bizarre pour être accepté des nouveaux. Il s’est retrouvé isolé. Comme avant.

Anxiété + Échecs + Isolement = Baisse d’estime de soi + perte de contrôle + suspensions

L’équation est simple. La solution, elle, l’est un peu moins.

Et voilà où nous en sommes, trois mois plus tard. Au point de départ. Les vacances des Fêtes viennent de se terminer, mon fils est reposé et en contrôle… et l’école a décidé de profiter de cette accalmie pour reprendre l’intégration intensive.

Et moi, pendant ce temps-là, j’hésite, je doute, je tergiverse. J’ai envie de reculer. Je me demande si je laisse le train repartir ou si j’embarque dedans pour continuer le périple. Est-ce que ma famille se battra seule ou j’aurai des alliés pour m’appuyer?

Comment faire de ce nouveau défi une éclatante réussite?

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Sandra Chartier est un diamant brut aux mille facettes. Femme Phénix, maman équilibriste et amoureuse caméléon, le diagnostic TSA de son fils aîné a changé son regard sur le monde et l'a amenée à parcourir les chemins les moins fréquentés. Déménagement à l’autre bout de la province, changement d’emploi et nouvelle dynamique familiale, aucun obstacle n'est insurmontable quand on aspire au bonheur. Par le biais de l’écriture, elle s’est donné comme mission cette année de rejoindre, de sensibiliser et d’informer un maximum de gens sur son quotidien haut en couleur. Après une fructueuse collaboration avec le défunt A&ME webzine, elle est prête à affronter de nouveau défis avec notre équipe!